On pourrait croire que les joyeux amis des Premières
Fois ignorent qu'il n'y en aura plus jamais d'autre. En effet Marie Hélène, Lilith, Cerysette, Cathy, Joufflette, Matriochka, Zette, Laora , Sandrine Cambroussienne ont
décidé cette semaine de parler de leur premier sapin plutôt que nous consacrions la dernière fois à nous souvenir de notre première fin du monde... Quel manque d'à propos, vous
m'avouerez !
(J'ai trouvé l'image ci dessus dans "Le journal de Feanor" qui propose mille façons de
passer le temps.)
Enfin, trève de balivernes, je vais vous parler du sapin du jardin de Madame Marc puisque c'est le premier dont je me souviens. Ah, ce sapin, c'était un monument ! Il ne passait pas inaperçu, fièrement installé au bord
de la route, tout près du portillon du jardin, il dépassait de beaucoup tous les autres arbres de la région, essentiellement des pommiers à cidre et même le vieux
noyer dont j'étais pourtant si fier, devant la porte de la cuisine .
Cet arbre était si touffu qu'on ne distinguait rien dans son feuillage sombre, mais on supposait qu'il était habité de mille oiseaux fabuleux dont la
vue nous aurait terrifiés. des hiboux, des chouettes, des serpentaires , d'horribles moineaux hérissés de griffes tranchantes. Le tout écrasant la petite maison de Madame Marc, au bout de l'allée
dans laquelle poussaient, été comme hiver, de petites pensées aux pétales en velours violet. Madame Marc était veuve. On n'avait pas connu son mari mais on savait qu'elle avait une fille qui
venait parfois lui rendre visite. Elle avait la réputation de savoir enlever le feu, on pensait qu'elle était corse, ce qui suffisait à la rendre suspecte dans ce bocage normand. On ne la voyait
jamais à l'église mais nous devions pourtant nous montrer courtois avec elle, la saluant aimablement lorsque nous la découvrions penchée sur la plate bande où elle faisait pousser quelques
légumes, même si notre bonjour ne suscitait jamais qu'un haussement d'épaule. La petite femme vétue de noir rentrait vite se mettre à l'abri dans sa maisonnette, et nous rentrions nous aussi dans
la nôtre, vaguement génés ou bien pris d'un fou rire que nous ne pouvions, ni ne voulions expliquer à nos parents surpris de nous voir si gais.
Oui, voilà bien mon premier souvenir de sapin. Ce n'était pas un sapin de Noël, je ne pense pas qu'il ait jamais été porteur de boules ni de
guirlandes, c'est un sapin de tous les jours et de toutes les inquiétudes mais j'en garde un souvenir ému et j'ai presque été triste de découvrir qu'il avait été abattu lorsque je suis retourné
par là, après avoir laissé passer une cinquantaine d'années. Mon noyer bien aimé avait disparu lui aussi. Les nouveaux propriétaires de la maison disaient qu'il devenait
dangereux...
Pas de souvenir de sapin décoré dans la maison de ma petite enfance. Seule la crèche venait marquer le temps de Noël.